Le sport, spectacle pour voiler d'autres réalités.

            A notre époque, le sport est devenu une véritable industrie, avec ses dirigeants, son économie, ses sponsors et surtout, ses consommateurs, que nous appelons plus communément des supporters. A partir de ce constat, nous sommes témoins qu’il est devenu un spectacle médiatisé, dont les évènements occupent souvent la première page de notre presse. Giono estimait, dans Les terrasses de l’île d’Elbe, écrit en 1976, que « les exploits des sportifs prennent trop d’importance ». Ainsi, je m’interrogerai si, à ce jour, ils n’occultent pas, en effet, d’autres faits qui pourraient être mis en valeur par notre société. C’est pourquoi, je développerai les enjeux du sport et sa valeur pour l’Homme. Puis, en second point, le fait que sa mise au premier plan, dans les médias et dans certaines consciences, permet de faire abstraction d’une réalité, d’un autre ordre d’importance.
 
            En premier lieu, je définis le sport comme l’acte de transcender son corps. Il peut amener à un dépassement de soi et de ses propres limites, physique comme psychique. L’effort musculaire poussé à son extrême peut forcer à l’admiration, car il relève d’une force de volonté et de ténacité, voire de courage. Il tend à la connaissance de son corps et à la maîtrise de celui-ci. Je peux observer toute la préparation mentale et physique que requiert une expédition en altitude, comme sur l’Everest. Les conditions de survie y sont extrêmes, par conséquent ceci fait appel à un vrai travail vis-à-vis de soi, afin d’en atteindre l’objectif, le sommet. C’est un défi avec soi-même. Ceux qui l’ont entrepris ont du apprendre à gérer leur respiration, quand l’oxygène se fait plus rare à mesure qu’il monte, le froid, l’épuisement, les risques d’accident, etc. Finalement, c’est significatif d’une réelle aptitude à une conscience de soi et de son corps, avec ses limites, sous peine de quoi, celui qui l’entreprend mettrait sa vie en péril. Ce pourquoi, je peux le considérer comme un exploit sportif. Le film Million dollar baby, réalisé par Clint Eastwood, magnifiquement mis en scène, traite de cette notion au travers de la boxe. C’est-à-dire que ce sport est un état d’esprit, qui se joue entre soi et son corps, avant tout.
            Qui plus est, le sport peut être collectif. La force d’une équipe, c’est le développement de l’esprit de solidarité et la confiance nécessaire en ses partenaires pour atteindre un objectif commun. En d’autre terme, une cohésion où les membres apportent chacun leurs compétences et se complètent dans leur différence. Ainsi, dans une équipe de football, il y a des défenseurs et des attaquants, avec chacun leur rôle et leurs points forts. Par ailleurs, cet état d’esprit touche l’ensemble de la nation que l’équipe représente, comme j’ai pu le constater lors de la Coupe du monde de football en 1998. Le fait que l’équipe française remportait des victoires et semblait proche du titre mondial, a créé une émulation dans la population de notre pays. Quand notre équipe a gagné, c’était la France qui était championne du monde. Ceci grâce au fait non pas que nous avions les meilleurs joueurs, mais parce qu’ils ont su tirer le meilleur de leurs compétences et en faire la synthèse. L’équipe du Real Madrid en est le reflet, car elle est formée en effet des plus talentueux joueurs de football du monde et pourtant elle n’est pas la meilleure équipe qui soit. En fin de compte, il y a les sportifs et le rassemblement de ceux qui les soutiennent pour former l’union d’un pays vers une victoire commune. Sans ses supporters, le titre n’a de la valeur que pour ceux qui l’obtiennent. En conséquence, c’est la reconnaissance de ces milliers de gens qui l’augmente.
            En fin de compte, les exploits des sportifs nous divertissent, nous apportent un peu de rêves et d’espoirs peut-être également. Il peut permettre d’alléger notre quotidien parfois difficile, être une sorte d’évasion. Cependant, il tient une place si importante dans nos vies que ses champions deviennent presque des héros nationaux, voire internationaux. Je pense au joueur de football Zinedine Zidane, qui est ressorti en héros de la Coupe du monde en 1998, pour avoir marqué deux buts sur trois à la final. A dire vrai, c’est tous les membres de l’équipe qui étaient des héros d’avoir remportés le titre pour la France. En outre, je peux constater que si le sport peut être un divertissement distrayant, l’importance qu’il a est si grande que ses icones deviennent des modèles de référence pour certains. Après la Coupe du monde de football, il n’y a jamais eu autant d’inscription dans les clubs avec des jeunes gens qui voulaient devenir footballeur professionnel. Le même phénomène s’est produit avec la Coupe du monde de rugby, en 2007. Le visage des héros a changé. Nous n’avons plus la même demande. En effet, pourvu qu’ils nous offrent le sentiment, par leurs records, que nous pouvons être des champions, nous nous réjouissons de ces victoires, ne fussent-elles qu’éphémères, parce que l’espace d’un instant, elles nous offrent un peu de rêves et une trêve, face aux maux de notre monde.
 
            Néanmoins, tout ceci dessert d’autres réalités, que nous ne voyons plus, que nous oublions. Une campagne de Médecins du monde, diffusée actuellement, a pour slogan : « Oublier c’est humain. Agir aussi. » Cependant, nos sociétés semblent préférer ne choisir que la première option. Or, que ces joueurs de football soient portés en héros pour avoir marqués trois buts dans un jeu, cela ne change pas quoi que ce soit à la marche du monde. Par conséquent, qu’ils soient considérés par certains comme tels, est une aberration, car il n’y a rien d’héroïque dans leurs actes. En revanche, il y a, actuellement, des hommes et des femmes, qui construisent des actions afin de créer des solutions pour ceux qui sont dans l’exclusion, dans la misère, dans le dénuement le plus complet. Or, ceux-ci n’ont pas leur photo en première page des journaux. Ils n’ont pas tout le tapage médiatique qu’occupent les résultats d’exploits sportifs. Anna Politkovskaïa, la journaliste russe qui a été assassinée en Russie, pour avoir simplement informée son pays sur ce que faisait réellement leur gouvernement. La raison qui est la cause de sa mort. Dès lors, nous en avons à peine parlé, presque déjà oublié, même en Russie. Nous ne l’avons pas encensée comme ces vedettes de football, ni glorifiée son mérite, son courage, son engagement. Personne n’a pu voir des rassemblements de foule se lever comme ce fut le cas pour un simple match de football.
            De plus, Jean Giono écrit en 1976, dans Les terrasses de l’île d’Elbe : « on rêve de stades d’un million de places dans des pays où il manque cent mille lits dans les hôpitaux, et vous pouvez parier à coup sûr que le stade finira par être construit et que les malades continueront à ne pas être soignés comme il faut par manque de place. » Le sport est une priorité plus urgente que de soigner son prochain dans le besoin, pour qui il n’y a pas de place, quand il y en a pour les supporters. C’est toujours d’actualité à notre époque. Pour la Coupe du monde de football en 1998, la France a dépensé une fortune pour la construction du Stade de France, tandis que même si notre pays n’est pas le plus pauvre comparativement à d’autres, nous manquons d’hôpitaux psychiatriques et de personnels qualifiés pour ces derniers. Mais, il n’y a pas de place, pas de moyen parait-il. En conséquence, des personnes atteintes de troubles psychiatriques graves, se désocialisent, sont exclus de notre société et se retrouvent dans des situations de précarité, parfois à la rue, ce qui empire leur mal, faute de soin, faute d’encadrement, faute d’un lieu adapté à leur état, faute de place. Parallèlement, la valeur que prend le sport, est démesurée quand nous réfléchissons au fait que ce n’est que pour offrir un divertissement au public. Ces budgets pourraient être investis dans d’autres priorités, telles qu’améliorer la condition des Hommes. D’autant plus que le cas de la France n’est pas une exception, car nous pouvons vérifier cette politique dans d’autres Etats du monde, comme la Chine.
            Précisément, nous médiatisons actuellement les Jeux Olympiques qui se dérouleront cette année en Chine. Ce pays dépense des sommes colossales pour se préparer à cet évènement, aux jeux. Pourtant, la précarité et la pauvreté de la population chinoise, elles, ne s’atténuent par pour autant, bien au contraire. Cependant, cela n’est pas médiatisé. Qui plus est, le gouvernement chinois avait pris des engagements pour qu’il y ait une amélioration dans le respect de la Charte des Nation Unies quant aux droits de l’homme qui sont impunément bafoués chez eux. Mais, cela n’est pas médiatisé, non plus. Là-bas, les prisons sont pleines de prisonniers d’opinion, car la liberté d’expression est réprimée. Malgré leurs engagements de changer cela avant les Jeux Olympiques de 2008, dont nous ne sommes plus qu’à quelques semaines, rien n’est fait concrètement. C’est la répression et la censure qui est de mise et aucun gouvernement ne fait pression, réellement, contre cela. Or, une fois encore, cela n’est pas médiatisé. En effet, un évènement sportif d’une telle ampleur qui se déroule dans un pays choisit, pourrait être l’occasion de dénoncer l’envers du décor, de ce que cela implique. Les femmes iraniennes, ses sportives, qui n’ont pas le droit de participer à ces jeux, car elles n’ont pas le droit dans la loi de leur pays, de courir en short, dénudées, étant considéré comme de l’impudeur. Seulement, les médias ne couvrent pas ce type d’informations, alors que cela concerne directement le domaine du sport. On nous offre du beau, du neuf, du grandiose, de l’exploit, du spectacle, là où cela ne changera rien à la condition de notre monde et encore moins à ceux qui en pâtissent, et surtout il ne faut pas parler de ces réalités, faute de casser le mythe.
 
            Pour conclure, la médiatisation du sport a pris une place qui occulte, en effet, d’autres faits, même quand il pourrait être l’occasion de mettre en valeur ces réalités. Par ailleurs, on y compte plus de supporters que pour n’importe quelle autre cause qui mériterait de l’engagement, et dont l’action changerait durablement nos vies. Des pays se disputent un titre de champion, car c’est bien le verbe que nous employons dans le langage sportif, quand sur leur terre, des êtres humains meurent réellement de faim. Cela devrait nous choquer. C’est pourquoi, tout ceci ne peut pas être anodin, mais bien calculé et construit en pleine conscience. Comme si pour cacher nos horreurs, nos manquements, nous mettions un voile d’illusion, de record, de grandeur auquel le public qui adhère à ces mirages, est complice et responsable.
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